26 octobre 2018

Un arrêt de la Cour de cassation sans attendu (en matière de marque) !

Exit l'expression "attendu de principe" lors d'un commentaire d'arrêt ?

La Cour de cassation poursuit son oeuvre d'évolution de la forme de ses arrêts (1). 

Un récent arrêt de la chambre commerciale, rendu le 26 septembre dernier en matière de marque (2), ne mentionne aucun attendu dans le corps de l'arrêt mais, à la place de ceux-ci, des numéros de paragraphes, comme il en va pour la CJUE. L'arrêt ne contient pas moins de 42 points ou, plutôt, 42 numéros. (3)
La Cour européenne, justement, n'est pas bien loin puisqu'il s'agit d'un arrêt qui opère un renvoi prejudiciel devant cette dernière. Il semble bien qu'il s'agisse ici pour la chambre commerciale d'harmoniser la forme de l'arrêt avec ceux des juridictions européennes.

Nous attendons de savoir si la Cour de cassation va généraliser cette évolution...

(1) La jurisprudence de la Cour de cassation explicitée par les juges au sein même de l'arrêt, une véritable rénovation !, 2 juin 2016, LexGo et (Diffamation) Un nouvel arrêt où la Cour de cassation est didactique, 10 oct. 2016 , LexGo. 

(2) Com. 26 sept. 2018, n° 16-28.281.
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir rejeté la demande tendant à voir constater qu'en faisant usage du signe ST-GERMAIN pour désigner une liqueur de sureau, et notamment en fabriquant et offrant à la vente cette liqueur en France, ainsi qu'en l'exportant ou l'important, les sociétés Cooper International Spirits, SAEGB et ST Dalfour avaient commis des actes de contrefaçon de la marque française SAINT GERMAIN. 
Pour la Cour de cassation se "pose donc la question de savoir s'il peut avoir été porté atteinte à la fonction essentielle de la marque, à raison d'un risque de confusion dans l'esprit du public (...) quand son titulaire n'a pas mis à profit le délai de grâce de cinq ans prévu (...)  pour entamer un usage sérieux de sa marque, au point d'être déchu de ses droits à l'expiration de ce délai."
 Soit la question de savoir "si le titulaire d'une marque, qui n'en a jamais fait usage et s'est vu déchoir de ses droits dans les conditions prévues par les articles 10 et 12 de la directive précitée, peut, au seul motif tenant au droit exclusif conféré par l'enregistrement de la marque jusqu'à la date d'effet de la déchéance, obtenir la condamnation pour contrefaçon au sens de l'article 5, paragraphe 1, sous b), de cette directive, du tiers qui a utilisé, au cours de cette période, un signe similaire à la marque pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux pour lesquels celle-ci avait été enregistrée. 

(3) Le 1er arrêt de la Cour de cassation sans attendu ! 26 oct. 2016, Dalloz-etudiant.fr.


Extrait Com. 26 sept. 2018, n° 16-28.281, inédit, c'est-à-dire non publié au Bulletin
38 La CJUE ne semble pas avoir rendu de décision sur la question posée en l'espèce par le moyen. D'ailleurs, dans l'arrêt Länsförsäkringar précité, elle a constaté que, telle n'étant pas la situation en l'occurrence et la juridiction de renvoi ne cherchant pas des éclaircissements à ce sujet, elle n'avait pas à se prononcer sur la question de savoir si, à partir du moment de l'expiration du délai de cinq ans suivant l'enregistrement de la marque de l'Union européenne, l'étendue de ce droit exclusif pouvait être affectée par le constat, opéré à la suite d'une demande reconventionnelle ou d'une défense au fond introduites par le tiers dans le cadre d'une action en contrefaçon, que le titulaire n'avait pas encore entamé à ce moment un usage sérieux de sa marque pour une partie ou l'ensemble des produits et des services pour lesquels celle-ci a été enregistrée (point 28 de cet arrêt). 
39 Il apparaît que le litige pose une difficulté sérieuse quant à l'interprétation des articles 5, paragraphe 1, sous b), 10 et 12 de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques, notamment au regard de l'objectif, défini par le considérant 9 de cette directive, de prévoir qu'une marque ne puisse être valablement invoquée dans une procédure en contrefaçon s'il est établi, à la suite d'une exception, que le titulaire de la marque pourrait être déchu de ses droits.
40 Se pose donc la question de savoir s'il peut avoir été porté atteinte à la fonction essentielle de la marque, à raison d'un risque de confusion dans l'esprit du public, au sens de l'article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive précitée, quand son titulaire n'a pas mis à profit le délai de grâce de cinq ans prévu par les articles 10 et 12 de cette directive pour entamer un usage sérieux de sa marque, au point d'être déchu de ses droits à l'expiration de ce délai, c'est-à-dire si la fonction essentielle de la marque, que le titulaire de celle-ci n'a lui-même jamais exercée, a pu être compromise par l'utilisation par un tiers, au cours de cette période, d'un signe similaire à la marque pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux pour lesquels celle-ci avait été enregistrée.
41 Cette question revient à déterminer si le titulaire d'une marque, qui n'en a jamais fait usage et s'est vu déchoir de ses droits dans les conditions prévues par les articles 10 et 12 de la directive précitée, peut, au seul motif tenant au droit exclusif conféré par l'enregistrement de la marque jusqu'à la date d'effet de la déchéance, obtenir la condamnation pour contrefaçon au sens de l'article 5, paragraphe 1, sous b), de cette directive, du tiers qui a utilisé, au cours de cette période, un signe similaire à la marque pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux pour lesquels celle-ci avait été enregistrée.
42 Il y a lieu, dès lors, d'interroger la Cour de justice de l'Union européenne.
PAR CES MOTIFS :
Vu l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; 
Renvoie à la Cour de justice de l'Union européenne aux fins de répondre à la question suivante : 
Les articles 5, paragraphe 1, sous b), 10 et 12 de la directive n° 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques doivent-ils être interprétés en ce sens que le titulaire, qui n'a jamais exploité sa marque et a été déchu de ses droits sur celle-ci à l'expiration de la période de cinq ans suivant la publication de son enregistrement, peut obtenir l'indemnisation d'un préjudice pour contrefaçon, en invoquant une atteinte portée à la fonction essentielle de sa marque, causée par l'usage par un tiers, antérieurement à la date d'effet de la déchéance, d'un signe similaire à ladite marque pour désigner des produits ou services identiques ou similaires à ceux pour lesquels cette marque a été enregistrée ?

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