15 février 2013

Lorsque le caractère personnel d'un fichier résulte, non pas de sa dénomination, mais du mode d'affichage sur l'ordinateur !

Comment un fichier dénommé « Marc+Paul » sur un ordinateur professionnel pourrait-il revêtir un caractère personnel ?

Il a déjà été jugé que la simple mention des initiales ne suffisait pas pour qualifier un fichier de personnel (1), ni la mention "Mes documents" (2) et encore moins "D:/données personnelles" sur tout un disque dur (3). Au mieux doit-il être clairement affiché la mention "Personnel". Serait-ce différent lorsque deux prénoms se retrouvent accolés de la sorte ? 

L'on va voir, avec l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Versailles rendu le 18 décembre 2012 (n° 11VE02712), que si la dénomination du fichier portée par le salarié ne permet pas à elle seule d'en déterminer le caractère personnel, "l’affichage" sur l'ordinateur, et notamment l'affichage en mosaïque de photographies pornographiques, quant à lui, pourra être "suffisamment explicite" pour que le caractère personnel soit "manifeste" ! 

Voici un arrêt bien insolite. Là où la Cour de cassation resserre sa jurisprudence, la juridiction administrative élargit. A suivre cet arrêt, l'employeur devrait donc s'entourer de quelques précautions avant de faire valoir la présomption du caractère professionnel en matière de photographies stockées dans l’ordinateur, avant d'en faire usage pour fonder une sanction disciplinaire. En effet, de ce caractère personnel va dépendre, "sauf risque ou évènement particulier", l'ouverture desdits fichiers par l'employeur en l'absence du salarié et donc la possibilité d'invoquer ces fichiers pour une sanction pouvant aller jusqu'au licenciement. 

L'autre originalité de l'arrêt réside en ce qu'était en cause un salarié protégé. Ce ne sont donc pas les tribunaux civils qui se sont prononcés, comme dit précédemment, mais les juridictions administratives.

En l'espèce et pour resituer l'arrêt dans son contexte, la cour administrative d’appel de Versailles avait donc à statuer sur la validité du refus de l'administration du travail d’accorder l’autorisation de licencier le salarié, membre du comité d'entreprise, suite notamment à la découverte de photographies pornographiques sur son ordinateur professionnel (le salarié était en outre accusé d'avoir utilisé son adresse professionnelle pour répondre à des petites annonces et envoyer des images pornographiques). 

Pour mémoire, les salariés investis de fonctions représentatives bénéficient d'une protection exceptionnelle. C'est ainsi qu'en cas de faute commise justifiant le licenciement du point de vue de l'employeur, ce dernier doit saisir l'inspection du travail d’une demande d’autorisation administrative de licenciement. Il appartient alors à l'inspecteur du travail et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement (comme le rappelle la cour dans un autre arrêt du même jour, CAA Versailles, 18 dec. 2012, n° 11VE02497). Dans l'espèce qui retient notre attention, la demande fut refusée par l'Inspection du Travail et le recours rejeté par le ministre du travail. En première instance comme en appel, le refus d’autoriser le licenciement a été validé. 

Le raisonnement de la cour est le suivant : 
"Considérant que si les photographies pornographiques, dont certaines mettaient en scène le salarié en cause, se trouvaient contenues dans un fichier dénommé « Marc+Paul » dont l’intitulé n’indique pas explicitement le caractère personnel de ce fichier, l’affichage en mosaïque de ce fichier révélait toutefois des photographies miniatures suffisamment explicites pour que ce caractère personnel soit manifeste ; qu’il ressort par ailleurs des pièces du dossier que le contenu de ce fichier, qui figurait dans un répertoire partagé avec plusieurs formateurs et qui était en libre accès, avait été découvert fortuitement par un salarié qui en avait informé la hiérarchie ; que dans ces circonstances, compte tenu du caractère personnel de ce fichier, la directrice de l’institut ne pouvait licitement ouvrir ce document en l’absence de M. G. pour établir les faits qui lui sont reprochés, sauf risque ou évènement particulier ;

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, le contenu de ce fichier et son emplacement ne faisaient pas courir à l’INSTITUT D. un risque tel que ce document personnel pouvait être ouvert sans la présence de M. G. ; que par suite, dans ces circonstances particulières, le mode de preuve doit être regardé comme illicite et c’est à bon droit que l’administration a rejeté ce grief pour ce motif ;"

Si la solution de la cour vaut pour des photographies à caractère pornographique, il est moins sûr que la méthode soit tout aussi efficiente pour des photographies aux mises en situation disons moins explicites.





Source de l'arrêt : merci à Dalloz-actualités pour la publication de l'arrêt

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