31 janvier 2015

Liens commerciaux : utilisation de marques à titre de mots-clés et rôle actif dans le choix des contenus mis en ligne (art. 6.I-2, LCEN )

L'utilisation à titre de mots-clés des marques déposées par la SNCF par deux sociétés, Tuto4pc.com, son président du directoire réservataire du nom de domaine, et Tuto4pc.com Group, sur le site http://www.lo.st pour diriger le consommateur vers des sites concurrents par l'affichage de liens commerciaux, a conduit la chambre commerciale de la Cour de cassation à rendre ce long arrêt du 20 janvier 2015, n° 11-28.567. La Cour accueille les trois moyens qui l’amènent chacun à la cassation, rejetant (1) le rôle actif dans le choix des contenus mis en ligne ne pouvant engager la responsabilité civile, (2) l'atteinte aux marques notoires et (3) la la caractérisation d'une pratique commerciale trompeuse.


1. Rejet du rôle actif dans le choix des contenus mis en ligne ne pouvant engager la responsabilité civile 

Il ressort de cet arrêt, sous les visa des articles 1382 du code civil et 6, I-2, de la loi n° 2004-175 du 29 juin 2004, que contrairement à la décision des juges du fond, Tuto4pc.com, son président du directoire, et Tuto4pc.com Group n'avaient pas joué de rôle actif dans le choix des contenus mis en ligne sur le site LO.ST. Ils peuvent des lors bénéficier du régime de responsabilité limitée instaurée par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. Exit la qualification d'éditeurs, la mise en jeu de leur responsabilité civile étant de ce fait écartée.

Pour la cour d'appel, il avait été inséré, de façon délibérée, dans la page d'accueil, le mot-clé SNCF, lequel dirigeait l'internaute vers des liens concurrents. La cour retint que la société avait l'accès et la maîtrise des mots-clés dans la mesure où elle avait pu supprimer cette mention en exécution de la décision de première instance.

La Cour de cassation réfute cette analyse :
les juges du fond n'ayant pas défini "en quoi l'insertion, à titre de raccourci, d'un mot-clé renvoyant l'internaute à une page de résultats affichée par le moteur de recherche, puis sa suppression, caractérisaient un rôle actif de la société Tuto4pc. com, ainsi que de la société Tuto4pc. com group et [du réservataire du nom de domaine], de nature à leur confier la connaissance et le contrôle des données stockées par les annonceurs".

2. Rejet de l'atteinte aux marques notoires

La question se posait par ailleurs de l'atteinte aux marques notoires avec les huit marques semi-figuratives et verbales "SNCF", "TGV", "Transilien", "Voyages-sncf. com" et "Voyages-sncf".

La Haute juridiction, relève que :
"la Cour de justice de l'Union européenne (23 mars 2010, Google France, C-236/ 08 à C-238/ 08) a dit pour droit que le prestataire d'un service de référencement sur internet, qui stocke en tant que mot-clé un signe identique à une marque et organise l'affichage d'annonces à partir de celui-ci, ne fait pas un usage de ce signe au sens de l'article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 89/ 104/ CE". 
Sur ce terrain aussi la décision des juges du fond est censurée, la contrefaçon n’étant pas établie.


3. Rejet de la caractérisation d'une pratique commerciale trompeuse

L’arrêt de la cour d'appel encourt de la même manière la cassation s'agissant du grief de pratique commerciale trompeuse, lorsque les juges du fond, 
"après avoir relevé que le site Lo. st présente, sous la rubrique « annonces Google », lorsque la marque « Voyages-SNCF » est mentionnée, des sites commerciaux parmi lesquels un site de rencontres et six sites de voyagistes, retien[nen]t qu'une une telle information constitue une offre de services publicitaires, destinée à abuser le consommateur en lui faisant croire qu'il va être mis en relation avec les sites commerciaux de la SNCF en partenariat avec les moteurs de recherche Lo. st et Google."
la Cour de cassation se prononçant en ces termes :
"en se déterminant ainsi par des motifs impropres à caractériser une publicité fausse ou de nature à induire en erreur portant sur un ou plusieurs des éléments énumérés par l'article L. 121-1 du code de la consommation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale."

____________________
L’arrêt, Cass. com., 20 janvier 2015, n° 11-28.567, P+B (cassation partielle)

"Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que la Société nationale des chemins de fer français (la SNCF), qui a pour mission principale le transport ferroviaire de personnes et de marchandises, a adopté en 1937 le sigle « SNCF » et est titulaire, notamment, de huit marques semi-figuratives et verbales « SNCF », « TGV », « Transilien », « Voyages-sncf. com » et « Voyages-sncf » ; qu'ayant fait constater que le site accessible à l'adresse « http :// www. lo. st » utilisait ses marques à titre de mots-clés afin de diriger, par l'affichage de liens commerciaux, le consommateur vers des sites concurrents proposant des produits et services identiques ou similaires aux siens, la SNCF a assigné la société Tuto4pc. com, anciennement dénommée Eorezo, locataire des serveurs sur lesquels est hébergé le site Lo. st, et la société holding Tuto4pc. com group, anciennement dénommée Eorezo group, ainsi que M. X..., président du directoire de la société Tuto4pc. com et réservataire du nom de domaine, pour atteintes aux marques notoires et pratique commerciale trompeuse ;

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu les articles 1382 du code civil et 6, I-2, de la loi n° 2004-175 du 29 juin 2004 ; 
Attendu que pour dire que la société Tuto4pc. com, qui soutenait être intervenue comme moteur de recherche dans le cadre du programme AdSense de la société Google, la société Tuto4pc. com group et M. X...ne peuvent bénéficier du régime de responsabilité limitée instauré par le second de ces textes, l'arrêt relève que la différence, établie par les constats, de résultats obtenus, selon qu'une requête identique est adressée au moteur de recherche Google et au moteur de recherche Lo. st, démontre que les liens commerciaux affichés ne sont pas nécessairement issus du moteur de recherche Google et que la société Tuto4pc. com est à l'origine de ces modifications et en déduit que celle-ci a mis en place son propre système d'annonces commerciales ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser un rôle actif de la société Tuto4pc. com, ainsi que de la société Tuto4pc. com group et de M. X..., de nature à leur confier la connaissance ou le contrôle des données stockées par les annonceurs, la privé sa décision de base légale ; 

Sur le même moyen, pris en sa sixième branche :
Vu l'article 6, I-2, de la loi n° 2004-175 du 29 juin 2004
Attendu que pour retenir que les sociétés Tuto4pc. com et Tuto4pc. com group et M. X...ne peuvent bénéficier du régime de responsabilité limitée instauré par ce texte, l'arrêt relève que la société Tuto4pc. com ne s'est pas bornée à stocker des informations de nature publicitaire mais qu'elle a inséré, de façon délibérée, dans sa page d'accueil, le mot-clé SNCF, lequel dirigeait l'internaute vers des liens concurrents, et retient qu'elle avait l'accès et la maîtrise des mots-clés dans la mesure où elle a pu supprimer cette mention en exécution de la décision de première instance ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans définir en quoi l'insertion, à titre de raccourci, d'un mot-clé renvoyant l'internaute à une page de résultats affichée par le moteur de recherche, puis sa suppression, caractérisaient un rôle actif de la société Tuto4pc. com, ainsi que de la société Tuto4pc. com group et de M. X..., de nature à leur confier la connaissance et le contrôle des données stockées par les annonceurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :
Vu les articles 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 89/ 104/ CE, du 21 décembre 1988, et L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle
Attendu que pour condamner les sociétés Tuto4pc. com et Tuto4pc. com group et M. X...pour atteinte aux marques notoires, l'arrêt, après avoir relevé que l'usage, à l'identique ou par imitation, des marques de la SNCF comme mots-clés par le moteur de recherche Lo. st générait l'affichage de liens commerciaux dirigeant les internautes en priorité vers des sites concurrents de ceux de la SNCF qui proposaient, à l'exception d'un site de rencontres, des prestations identiques ou similaires à prix réduits, retient que la société Tuto4pc. com, en faisant en toute connaissance de cause bénéficier les internautes du pouvoir attractif de ces marques, tire indûment profit de la notoriété de celles-ci et lèse ainsi les intérêts de leur titulaire ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la Cour de justice de l'Union européenne (23 mars 2010, Google France, C-236/ 08 à C-238/ 08) a dit pour droit que le prestataire d'un service de référencement sur internet, qui stocke en tant que mot-clé un signe identique à une marque et organise l'affichage d'annonces à partir de celui-ci, ne fait pas un usage de ce signe au sens de l'article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 89/ 104/ CE, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; 

Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche, qui est recevable :
Vu l'article L. 121-1 du code de la consommation
Attendu que pour décider que les sociétés Tuto4pc. com et Tuto4pc. com group et M. X...se sont rendus coupables d'une pratique commerciale trompeuse, l'arrêt, après avoir relevé que le site Lo. st présente, sous la rubrique « annonces Google », lorsque la marque « Voyages-SNCF » est mentionnée, des sites commerciaux parmi lesquels un site de rencontres et six sites de voyagistes, retient qu'une telle information constitue une offre de services publicitaires et qu'elle est destinée à abuser le consommateur en lui faisant croire qu'il va être mis en relation avec les sites commerciaux de la SNCF en partenariat avec les moteurs de recherche Lo. st et Google ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser une publicité fausse ou de nature à induire en erreur portant sur un ou plusieurs des éléments énumérés par l'article L. 121-1 du code de la consommation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs ;  
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il ordonne le retrait de la procédure de la pièce n° A2 versée aux débats par les sociétés Tuto4pc. com et Tuto4pc. com group et M. X..., rejette la demande de retrait des pièces adverses n° 32, 33 et 34 formée par la Société nationale des chemins de fer français et rejette les demandes formées par les sociétés Tuto4pc. com et Tuto4pc. com group et M. X...tendant à voir prononcer la nullité du procès-verbal de constat dressé le 22 octobre 2008 par l'Agence pour la protection des programmes et celle de l'ordonnance sur requête du 5 décembre 2008, l'arrêt rendu le 28 octobre 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la Société nationale des chemins de fer français aux dépens ;"

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