C’est par la négative que répond, sans surprise, la chambre criminelle de la Cour de cassation dans son arrêt du 3 mars 2015, n° 13-87.597 (F-P+B), en application des articles 42 et 43 de la loi du 29 juillet 1881 qu’elle interprète de la sorte :
“Aucune disposition de la loi sur la presse ne subordonne la mise en cause de l'auteur de l'écrit à la poursuite, à titre d'auteur principal, du directeur de la publication, ou à celle, à quelque titre que ce soit, d'autres personnes pénalement responsables en application de ces textes”, rappelle-t-elle sous le visa desdits articles.
La responsabilité dite “en cascade” d’une infraction commise par voie de presse
Selon ce mécanisme, c’est l’éditeur, à savoir celui qui a la maitrise éditoriale du texte litigieux, s’il est identifié, qui sera considéré comme auteur principal de la diffamation.
L’auteur de l’écrit, de son côté, sera considéré comme son complice, dans l’hypothèse où l’éditeur a été identifié. L’hébergeur, quant à lui, ne sera mis en cause que s’il avait connaissance du contenu litigieux et qu’il ne l’a pas retiré aussitôt (se reporter à la diapositive ci-dessous concernant la responsabilité au sein d’un établissement scolaire qui évoque différentes scénarios).
L’arrêt du 3 mars 2015, qui met en cause l'auteur du propos litigieux comme complice de diffamation publique envers un particulier, pose la question de savoir si la poursuite de l'auteur d’une diffamation est ou non subordonnée à la mise en cause du directeur de publication à titre d’auteur principal. Ce dernier n’ayant pas été cité en l’espèce, la cour d’appel avait débouté la partie civile de ses demandes. Les juges du fond ont considéré que l'auteur du propos diffamatoire dans le journal "le Haut Anjou" ne pouvait être poursuivi comme complice que dans la seule hypothèse où le directeur de la publication était lui-même poursuivi comme auteur principal.
A tort, selon la Cour de cassation :
“en prononçant ainsi, alors que la poursuite de l'auteur du texte litigieux, comme complice, n'était pas subordonnée à la mise en cause, à titre d'auteur principal, du directeur de la publication, et qu'il lui appartenait, le cas échéant, d'apprécier le mode de participation de (l’auteur des propos) ... aux faits visés par la poursuite, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés, et les principes ci-dessus rappelés”.
Diapositive issue de la présentation au Congrès FADBEN, intervention du 23 mars 2012, Sandrine Rouja
: “Responsabilité contractuelle et pédagogie : quand les usages rencontrent le contrat dans l'univers numérique”
Ceci n’est pas nouveau. La même chambre criminelle l’avait précédemment dit (Crim.,16 juillet 1992, n°91-86.156, Publié au bulletin criminel) :
“le directeur de la publication d'un écrit périodique, dont le devoir est de surveiller et de vérifier tout ce qui y est inséré, est de droit responsable en cette qualité, comme auteur principal, de tout article publié par la voie de cet écrit et dont le caractère délictueux est démontré ;”
“aucune disposition de la loi sur la liberté de la presse ne subordonne à la mise en cause de l'auteur de l'écrit la poursuite, à titre d'auteur principal, du directeur de la publication ou celle, à quelque titre que ce soit, d'autres personnes pénalement responsables en application des articles 42 et 43 de ladite loi”.
…. ainsi que le reprendra la première chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt du 7 mars 2006, 05-11.338 (Publié au bulletin).
______________
Pour lire l’arrêt de la Cour cassation, Crim. 3 mars 2015, n° 13-87.597 :
Vu Attendu, d'une part, qu'aucune disposition de la loi sur la presse ne subordonne la mise en cause de l'auteur de l'écrit à la poursuite, à titre d'auteur principal, du directeur de la publication, ou à celle, à quelque titre que ce soit, d'autres personnes pénalement responsables en application de ces textes ;
Attendu, d'autre part, que , dans une poursuite exercée en vertu de la loi du 29 juillet 1881, la juridiction correctionnelle a le pouvoir d'apprécier le mode de participation du prévenu aux faits spécifiés et qualifiés dans l'acte de poursuite, les restrictions que la loi sur la presse impose aux pouvoirs de cette juridiction étant relatives uniquement à la qualification du fait incriminé ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite de la publication, par le journal "le Haut Anjou", d'un texte émanant de M. Claude X..., candidat aux élections législatives sous l'étiquette "Europe Ecologie les Verts", mettant en cause le fonctionnement de la société Approchim, et lui imputant de "meurtrir tout un territoire", de "mettre en danger la santé des riverains et de ses salariés", et de "détruire l'économie vivrière locale", celle-ci a fait citer directement devant le tribunal correctionnel l'auteur du propos, du chef de complicité de diffamation publique envers particulier, au visa notamment des articles 23, 29, alinéa 1, 32, alinéa 1, 42 et 43 de la loi du 29 juillet 1881, 121-6 et 121-7 du code pénal ; que les premiers juges, reconnaissant au prévenu le bénéfice de la bonne foi , l'ont renvoyé des fins de la poursuite; que la partie civile a relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour confirmer le jugement, par substitution de motifs, et débouter la partie civile de ses demandes, l'arrêt retient qu'en vertu de l'article 43 de la loi sur la presse, l'auteur du propos diffamatoire ne peut être poursuivi comme complice que dans la seule hypothèse où le directeur de la publication est lui-même poursuivi comme auteur principal, et qu'en l'espèce M. X..., rédacteur du texte incriminé, n'est recherché qu'en qualité de complice, sans que le directeur de la publication ait été appelé en la cause; que la cour d'appel en déduit qu'en l'absence de fait principal punissable, l'auteur de l'écrit publié n'est pas susceptible d'être mis en cause comme complice du directeur de publication ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que la poursuite de l'auteur du texte litigieux, comme complice, n'était pas subordonnée à la mise en cause, à titre d'auteur principal, du directeur de la publication, et qu'il lui appartenait, le cas échéant, d'apprécier le mode de participation de M. X... aux faits visés par la poursuite, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés, et les principes ci-dessus rappelés ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Source : Dalloz-actualité
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