5 février 2014

Retranscription d'entretiens sous forme littéraire et évolution des droits d'auteur des journalistes dans le temps

Les droits d'auteur sont toujours à l'honneur avec cet arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 30 janvier 2014  (n°12-24145, publié au bulletin) : il s'agit cette fois des droits d'auteur des journalistes ; L'occasion pour la Haute juridiction de suivre un raisonnement en deux étapes, tout du moins pour ce qui nous attachera ici, à savoir l'évolution de ces droits dans le temps :


1. La retranscription d'entretiens sous une forme littéraire constitue-t-elle une oeuvre de l'esprit ?

Les magistrats de la Cour de cassation tranchent par l'affirmative : le fait de retranscrire des entretiens "sous une forme littéraire, en ménageant des transitions, afin de donner à l'expression orale une forme écrite élaborée, fruit d'un investissement intellectuel, [rend] les articles éligibles à la protection conférée par le droit d'auteur". 

Dans cette affaire, un journaliste, reprochant à l'éditrice du magazine Historia, la société Sophia publications, d'avoir diffusé sans son consentement certains de ses articles sur le site internet « Historia. fr », sans mention de son nom portant ainsi atteinte à son droit moral, et d'en avoir cédé les droits au magazine brésilien Historia Viva, a assigné cette société en contrefaçon de ses droits d'auteur. Les magistrats de la cour d'appel estimèrent que la retranscription des interviews constituait bien une oeuvre de l'esprit.

La Haute juridiction approuve la solution donnée par les juges du fond. Quelles en sont les conséquences ?


2. Les articles, s'ils constituent des œuvres de l'esprit, nécessite-ils alors la conclusion d'une convention de cession expresse ?

En effet, les dispositions de l'article L. 132-36 du code de la propriété intellectuelle, introduites par la loi du 12 juin 2009, instaurent une présomption de cession des droits des journalistes au profit de l'employeur. Cependant, ces dispositions "n'avaient pas vocation à s'appliquer aux conventions conclues antérieurement à cette date". Il convenait donc de considérer la date à laquelle ces entretiens ont été formalisés. 

Les articles de presse litigieux ayant été rédigés entre janvier 2005 et avril 2009, ces derniers auraient dû faire l'objet d'une convention de cession expresse autorisant leur reproduction sur de nouveaux supports pour que Sophia publications soit investie du droit de les diffuser sur le réseau internet. 

La Cour de cassation laissera ensuite des éléments de preuve à l'appréciation souveraine de la cour d'appel (voir l'extrait ci-dessous) et approuvera en tous points le raisonnement des juges du fond dans cet arrêt de rejet.


Extraits (Juricaf.org) :

(...) Sur le deuxième moyen : 
(...) Mais attendu que l'arrêt retient que M. X...avait retranscrit les entretiens en cause sous une forme littéraire, en ménageant des transitions, afin de donner à l'expression orale une forme écrite élaborée, fruit d'un investissement intellectuel, en sorte que les articles litigieux étaient éligibles à la protection conférée par le droit d'auteur ; que, par ces seuls motifs, l'arrêt est légalement justifié ;
Et attendu que le moyen, pris en sa seconde branche, ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine, par la cour d'appel, du sens et de la portée de l'attestation de M. Y... que rendait nécessaire l'ambiguïté de ses termes ;


Sur le troisième moyen, tel que reproduit en annexe :

Attendu que la société Sophia publications fait grief à l'arrêt de refuser d'appliquer les dispositions de l'article L. 132-36 du code de la propriété intellectuelle, issues de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009, et de retenir qu'elle avait porté atteinte aux droits de M. X...en raison des nouvelles éditions de soixante-treize articles dont soixante-six sur le site internet « Historia. fr » et de sept articles dans la version papier de la revue brésilienne Historia ;

Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel, ayant relevé à bon droit que les dispositions nouvelles de l'article L. 132-36 précité, introduites par la loi du 12 juin 2009, qui instaurent une présomption de cession des droits des journalistes au profit de l'employeur, n'avaient pas vocation à s'appliquer aux conventions conclues antérieurement à cette date, a constaté que les articles de presse litigieux, rédigés entre janvier 2005 et avril 2009, n'avaient pas fait pas l'objet d'une convention de cession expresse autorisant leur reproduction sur de nouveaux supports, en a exactement déduit que la société Sophia publications n'était pas investie du droit de les diffuser sur le réseau internet ;

Attendu, ensuite, que la cour d'appel, appréciant souverainement la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui était soumis, a retenu que les articles de presse publiés dans le magazine Historia Viva l'avaient été avec l'accord de la société Sophia publications, justifiant ainsi légalement sa décision ;

Et attendu, enfin, que c'est sans méconnaître les dispositions de l'article 4 du code de procédure civile que la cour d'appel a retenu que les trente-quatre articles qui n'avaient pas été visés par l'assignation avaient fait l'objet d'une seconde reproduction, sur un support différent du premier, sans autorisation expresse de leur auteur, ce que la société Sophia publications ne contestait pas ;

D'où il suit que le moyen inopérant en sa quatrième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;

Sur ce sujet, on pourra lire : Quelles conditions pour réutiliser une partie d’une interview ? Michèle Battisti, Paralipomenes.net, 21 août 2012.

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