Un licenciement disciplinaire vise la sanction de fautes commises par le salarié. En dehors de toute faute, le licenciement pourra intervenir, mais pour une cause jugée réelle et sérieuse. La vie personnelle du salarié pourra-t-elle justifier son licenciement ?
Trois mois à peine après l’arrêt rendu par le Conseil d’État en ce domaine (1), la chambre sociale de la Cour de cassation pose, dans un arrêt du 9 mars 2011, qu’ « un fait de la vie personnelle occasionnant un trouble dans l'entreprise ne peut justifier un licenciement disciplinaire » (Cassation soc, 9 mars 2011, n° 09-42150, FS-P+B).
Par cet arrêt, la Cour de cassation complète sa jurisprudence récente sur la vie personnelle du salarié et le pouvoir disciplinaire de l’employeur.
Dans la mesure où les faits litigieux sont tirés de la vie personnelle du salarié et sont sans rapport avec son activité professionnelle comme il est jugé en l’espèce, ces faits ne peuvent venir à l’appui d’une procédure disciplinaire. A l’inverse, il vient d’être jugé qu’un courriel « en rapport avec l'activité professionnelle » - dont l'objet « info », d’ailleurs, ne signalait pas le caractère personnel – « ne revêtait pas un caractère privé et pouvait être retenu au soutien d'une procédure disciplinaire » (cassation soc 2 février 2011, n° 09-72.449).
En effet, le pouvoir disciplinaire de l’employeur vise un acte ou un comportement qu’il estime fautif. Le licenciement disciplinaire peut donc intervenir à la suite de la découverte de cette faute. Or l’activité d’un salarié qui n’est pas liée à sa prestation de travail ne peut constituer une faute disciplinaire, et par suite, justifier un licenciement disciplinaire. Pourtant, la chambre sociale de la Cour de cassation a déjà validé dans de rares cas le licenciement de salariés pour des faits tirés de leur vie personnelle.
Un revirement de jurisprudence ?
Dans un arrêt du 25 janvier 2006, la Cour énonçait qu’ « en principe, il ne peut être procédé au licenciement d’un salarié pour une cause tirée de sa vie personnelle », pour aussitôt assortir cette règle d'un tempérament (tempérament tiré de sa jurisprudence Painsecq du 17 avril 1991 [2]) : « il en est autrement lorsque le comportement de l’intéressé, compte tenu de ses fonctions et de la finalité propre de l’entreprise, a créé un trouble caractérisé au sein de cette dernière ». C’est ainsi qu’une salariée qui exerçait son activité professionnelle au sein d’une banque et qui avait été condamnée pour vol de véhicules, pouvait être licenciée pour faute grave (cassation soc 25 janvier 2006, n° 04-44.918, Voir Bull. droit du Travail, 1er trim 2006, n° 450, Courdecassation.fr). La formation de la Cour en chambre mixte avait jugé pour sa part en mai 2007, au visa de l'article 9 du code civil, qu' "un trouble objectif dans le fonctionnement de l'entreprise ne permet pas en lui-même de prononcer une sanction disciplinaire"… (cassation soc 18 mai 2007, 05-40.803).
L’arrêt du 9 mars 2011 énonce donc un attendu de principe plus lapidaire que dans l'arrêt de janvier 2006. « Un fait de la vie personnelle occasionnant un trouble dans l'entreprise ne peut justifier un licenciement disciplinaire » (3). Point. Exit l’adverbe « en principe » qui venait annoncer quelque exception. De ce fait, la chambre sociale n’évoque plus la prise en compte de la fonction occupée ni de la finalité de l’entreprise. Pas plus, non plus, que le trouble caractérisé. D’ailleurs, en l’espèce, les faits constitutifs de la faute grave alléguée n’ont pas été n'était pas établis.
En tout état de cause, il semble, compte tenu de ces divergences de jurisprudence entre le Conseil d'Etat et la Cour de cassation, qu'un simple salarié serait mieux protégé contre un licenciement disciplinaire du fait de sa vie personnelle qu'un salarie protégé par un mandat !
Sandrine Rouja
Responsable Veille juridique Juriscom.net
Responsable Veille juridique Juriscom.net
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(1) Arrêt du 15 décembre 2010, n° 316856, du Conseil d’État selon lequel "un agissement du salarié intervenu en dehors de l'exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat (…)".
L’espèce concernait un chauffeur routier, salarie protégé, s´étant fait retirer son permis de conduire suite a une faute de conduite commise dans le cadre de sa vie privée.
Le conseil d'État précise toutefois : "il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher... si les faits en cause sont établis et de nature, compte tenu de leur répercussion sur le fonctionnement de l'entreprise, à rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, eu égard à la nature de ses fonctions et à l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé." Il s'agit donc d'une différence avec la présente jurisprudence de la Cour de cassation.
L’espèce concernait un chauffeur routier, salarie protégé, s´étant fait retirer son permis de conduire suite a une faute de conduite commise dans le cadre de sa vie privée.
Le conseil d'État précise toutefois : "il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher... si les faits en cause sont établis et de nature, compte tenu de leur répercussion sur le fonctionnement de l'entreprise, à rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, eu égard à la nature de ses fonctions et à l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé." Il s'agit donc d'une différence avec la présente jurisprudence de la Cour de cassation.
(Voir 'Un licenciement disciplinaire ne peut pas être motivé par une faute commise en dehors du temps de travail' (Istnf.fr, 03.02.2011).
(2) L'arrêt Painsecq du 17 avril 1991, n° 90-42.636, a posé le principe selon lequel l'employeur ne peut reprocher un fait relevant de la vie personnelle du salarié que si ce fait objectif a créé un trouble caractérisé à l'entreprise compte tenu de la nature des fonctions et de la finalité de l'entreprise (voir sur ce point le rapport annuel 1999 de la Cour de cassation).
(3) Ceci nous renvoie à son arrêt de principe du 16 décembre 1997 selon lequel : « Le fait imputé au salarié relevant de sa vie personnelle ne peut constituer une faute » (Cassation soc, 16 déc. 1997, no 95-41.326). Il a été jugé cependant que si le fait en cause tiré de la vie personnelle du salarié se rattache à sa vie professionnelle, il peut alors être qualifié de faute disciplinaire (à propos d'un guichetier : "les faits reprochés... ne relevaient pas de sa vie personnelle, mais concernaient sa vie professionnelle, puisqu'il a utilisé, pour réaliser une escroquerie, les services de la banque qui l'employait", Cassation soc 24 juin 1998, n˚96-40.150), voir La protection de la vie privée et personnelle du salarié dans l'entreprise, Cabinet-alina-paragyios.net.
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